L’écrivain Marc Desaubliaux s’est appliqué dans son dernier roman à raconter, inlassablement attiré par son appétence pour le détail historique, les déboires d’un garçon qui se laisse aveuglément mener par la vie. Rencontre avec cet auteur prolifique qui vient dévoiler l’étendue de son œuvre traversée par ses ambitions littéraires.
Un homme sans volonté raconte avec brio la vie monotone de Louis Puissonnier-Tavernier, un garçon issu d’une famille de la haute bourgeoisie parisienne qui, malgré sa ténacité, n’arrive pas à s’imposer et trouver sa place au sein du monde. Une profonde solitude l’imprègne, un ennui chronique l’anime, un dégoût coriace l’habite. Restreint par les devoirs de son rang, son potentiel se retrouve inexploité. Sa lassitude vient alors l’enfermer dans la torpeur. Dans ce texte aussi intime que circonstancié, Marc Desaubliaux brosse de manière précise l’univers quotidien d’une frange privilégiée de la bourgeoisie parisienne des années soixante-dix et quatre-vingts.
Pouvez-vous brièvement raconter votre parcours d’auteur ?
A voir aussi : Quelle taille mesure Inès Reg ?
Initialement j’écrivais de la musique, plutôt classique, même si ce terme ne m’enchante guère. J’ai commencé par écrire des petites nouvelles sans grande prétention à vingt ans mais j’ai pris goût à ce que je faisais. Ensuite, j’ai écrit plusieurs romans, non publiés, dont je me suis débarrassé. Journal du désespoir, mon premier roman, est sorti à la fin des années soixante-dix. Puis, je suis passé par une période stérile parce que je ne souhaitais pas être publié. En 1986 paraît La fin du parti royaliste, un essai historique couronné d’un prix de l’Académie française.
Je suis finalement revenu au roman parce que c’est le format qui m’intéresse le plus. C’est grâce à mon éditeur actuel [les éditions Des auteurs des livres, ndlr], que j’ai rencontré tout à fait par hasard, que mes premiers ouvrages ont commencé à être édités. J’ai désormais neuf livres sur le marché, le premier qui a été pris sous son aile devait être Le Messager qui est un petit roman historique.
A voir aussi : Voyage en Guadeloupe : ce qu'il faut voir
Comment se déroule le processus en amont avec votre éditeur ? Avez-vous une liberté totale sur les sujets que vous traitez ainsi que sur la mise en forme de l’ouvrage ou vous guide-t-il au cours de l’écriture ?
J’ai généralement une liberté totale avec mon éditeur. Pour être sincère, il n’y a qu’une chose sur laquelle notre avis diverge et cela fait partie de la relation entre l’éditeur et l’écrivain. En ce moment, je suis en train de mettre un point final à un roman historique conséquent qui, cependant, ne correspond pas à ses attentes. Il craint que cela ne brise mon image de romancier plutôt spécialisé dans l’étude de l’adolescence et des difficultés qui y sont liées.
On discute ensemble des ouvrages que j’écris, bien évidemment, mais il me laisse carte blanche. Une fois le livre terminé je lui envoie le manuscrit et c’est à ce moment qu’on en rediscute éventuellement mais nos relations sont globalement assez libres.
Comment cette histoire a-t-elle germé dans votre esprit ?
Quand j’écris un livre je pars d’une idée et je ne sais absolument pas vers où je vais aller. Je ne fais pas de plan, je n’ai pas de point d’arrivée. Mon point de départ pour Un homme sans volonté, c’était l’envie d’aborder l’histoire d’un personnage qui se laisse mener par la vie et qui ne prend aucune décision. Je trouvais que c’était un sujet intéressant. Ensuite je me suis laissé conduire par le livre. Dedans, évidemment comme pour tout écrivain, il y a plein de choses qui se mélangent. Il y a des souvenirs personnels, il y a un certain nombre d’éléments inventés, bien évidemment, mais il y a quand même des détails issus de ma vie personnelle.
Au fond, peut-être que c’est un livre qui m’est relativement proche contrairement à ce que je pensais au départ. Je ne dis pas que je suis un homme sans volonté, puisque ce serait mentir, mais honnêtement il y a des moments dans la vie où j’ai fait preuve d’une passivité effarante et j’aurais pu complètement déraper et peut-être ressembler à ce personnage.
On dit que dans tout écrit, même fictionnel, il y a une part autobiographique. Vous êtes issus d’un milieu bourgeois catholique parisien, vous êtes-vous inspiré de votre vécu pour dépeindre aussi bien ce cadre ?
Oui mais seulement en partie. Le milieu social que je dépeins est vraiment celui de la grande bourgeoisie parisienne et ce n’est pas de celui-là que je suis issu. Le mien est socialement un peu en dessous mais ma famille a néanmoins côtoyé cette grande bourgeoisie donc je la connais, je sais comment elle est faite et je connais son fonctionnement. Il y a, cependant, effectivement des souvenirs personnels.
L’histoire du fameux dessin de château fort, pour lequel le professeur d’art de l’école pousse des hurlements d’horreur, cela m’est arrivé. Sauf que dans la réalité, ça ne s’est pas du tout passé comme dans l’histoire du roman. Je n’ai jamais été doué en peinture, j’avais 12 ans, j’avais fait une horreur, c’était très moche. Je me suis servi de cette anecdote mais je l’ai complètement transformée en l’élevant au rang d’œuvre d’art abstraite pour les besoins du récit. C’est un exemple d’événement vécu que j’ai transformé dans mon livre.
Le voyage en URSS que je relate a également existé. J’ai transporté quelques lettres à des individus qui n’étaient pas en odeur de sainteté là-bas et je me suis rendu compte après coup que j’avais pris d’énormes risques. Il y a des choses qui proviennent de mon vécu et d’autres qui sont inventées. C’est un mélange.
Y a-t-il d’autres éléments autobiographiques dans cette histoire ?
Il y en a un qui m’émeus particulièrement, c’est l’histoire de la maladie qui touche la sœur de Louis. Cet élément est véridique. J’avais une sœur atteinte d’anorexie mentale qui a fini par se suicider. Elle a mis une ambiance épouvantable à la maison. On était une fratrie de quatre enfants mais comme j’étais le plus jeune de la famille, je me retrouvais souvent seul avec elle. L’atmosphère que je décris, je l’ai ainsi effectivement vécue. Cela m’a beaucoup marqué et ça m’a créé un début de dépression tellement que c’était lourd et pesant.
Le format est intéressant, on a parfois l’impression d’éplucher le journal intime de ce Louis Puissonnier-Tavernier, puis, tout en conservant la même forme pour les chapitres, c’est dans l’intimité de d’autres personnages que le lecteur s’infiltre. Comment vous est venue l’idée d’articuler ce livre de cette manière ?
Au départ j’avais construit mon livre avec des allés et retours dans tous les sens. Puis, j’ai réalisé que le lecteur risquait de s’y perdre complètement et qu’il ne comprendrait absolument plus rien à l’histoire. C’est devenu un journal parce qu’on est passé dans un ordre beaucoup plus chronologique afin de faciliter la lisibilité. Pour le reste, disons que c’est une façon de faire que j’apprécie et que je n’utilise pas pour la première fois. Mon premier roman, Journal du Désespoir, a été écrit de cette manière. Deux Garçons sans histoire s’en rapproche également. Il y a du journal mais pas uniquement, on y trouve également des petites scènes de théâtre comme, à petites doses, dans Un Homme Sans Volonté. J’aime bien varier légèrement, changer la façon de faire pour éviter de lasser le lecteur, c’est une manière de le distraire, on change de style.
Il y a un côté un petit peu intimiste dans ce type d’écrits qui me plais aussi beaucoup. Un aspect un peu tranquille où l’on s’imaginerait bien lire au coin du feu. Étant également musicien, j’ai aussi essayé d’avoir une plume musicale. J’ai toujours pris soin de construire des phrases un peu mélodiques.
Certains thèmes semblent récurrents dans l’ensemble de votre œuvre (Histoire, milieu social aisé, l’entrée dans l’âge adulte, découverte de l’amour, questionnement existentiels, …). Pourquoi êtes-vous attaché à ces sujets ?
Pour ce qui est du milieu social, je ressens le besoin d’en parler parce que je nourris une relation amour-haine envers lui. Je déteste mon milieu et en même temps j’y suis également attaché. C’est une façon pour moi d’essayer de m’en extraire, sans pour autant y arriver.
Je parle effectivement beaucoup de l’adolescence parce que je considère que c’est un cap très important dans la vie de tout individu. Il y a ceux qui réussissent leur crise d’adolescence et ceux qui la ratent. Ceux qui la ratent, à mon sens, je pense qu’ils se préparent à une vie un peu compliquée. Et puis la crise d’adolescence, quand s’achève-t-elle ? C’est une grande question. Je pense que c’est vraiment une période passionnante. On assiste à l’éclosion, ou non, d’une personnalité, de quelqu’un qui devient vraiment lui-même. C’est une éclosion à l’instar d’une fleur qui s’ouvre, elle est comme elle est, c’est vraiment une période clé, je pense que tout le développement passe par là.
Avec neuf ouvrages, votre carrière d’auteur est assez prolifique. Êtes-vous déjà sur l’écriture d’un nouveau livre ?
Oui, j’ai un livre qui est quasiment terminé. Il est en train de dormir parce que ma façon de travailler est la suivante. Quand j’ai achevé un ouvrage, je le laisse dormir plusieurs mois avant de le regarder à nouveau pour voir comment ça se passe. Cela me permet ainsi d’avoir un œil neuf dessus, réaliser ce qui cloche potentiellement et de le reprendre, le corriger, etc.
Celui-là est quasiment fini. Mon éditeur prévoit de le sortir en septembre, il s’intitule Intrusion de classe. C’est l’histoire d’une jeune fille qui vient d’un milieu très populaire, même pauvre, d’une petite ville de province où les milieux sociaux sont très cloisonnés. Elle rêve d’entrer dans le milieu favorisé de cette petite ville. Elle réussit mais va cependant commettre de graves erreurs. J’ai également un livre en chantier qui s’appellera Un Secret. Il sera vraiment court, il ne devrait pas dépasser les cent pages. Toutefois, me limiter au nombre de pages est un réel défi.
J’ai aussi ce roman historique dont j’ai déjà parlé. Il est écrit et il ne reste plus qu’à le relire mais je cherche à le publier quoiqu’il en soit.
Vous êtes-vous fixé un objectif concernant le nombre d’ouvrages que vous écrirez ?
L’objectif ce sera l’âge. Je vais avoir soixante-neuf ans. J’ai d’autres idées de sujets, ça ne me manque pas. Maintenant, quand je serai gâteux je ne pourrais peut-être plus écrire et ce sera terminé. C’est vrai qu’écrire des livres demande beaucoup de travail, il y a des jours où j’ai envie de passer l’ordinateur par la fenêtre parce que l’inspiration ne vient pas, parce que ça ne marche pas comme je veux. J’ai eu récemment un long passage à vide pendant plusieurs mois, là c’est bien reparti. Je n’ai pas d’objectif mais peut-être qu’un jour je n’aurai plus rien à dire. C’est possible, ça arrive à tout le monde.
Un homme sans volonté est disponible chez les éditions Des auteurs des livres.
Le site de l’auteur : https://www.marc-desaubliaux.fr/