Le Corps Conscient, Olivier Vuagniaux – Redonner au corps une place centrale dans la construction du moi

Le Corps Conscient, Olivier Vuagniaux Redonner au corps une place centrale dans la construction du moi

Selon les études, les intestins sont parcourus d’un maillage de 200 000 à 500 000 neurones. Ce cerveau du ventre sécrète 80% des neurotransmetteurs dont 95% de la sérotonine qui procure la sensation de plaisir et de bien-être. Dans les deux tomes du Corps Conscient, le psychothérapeute Olivier Vuagniaux redonne une place centrale au corps dans la construction du moi psychologique. Une approche novatrice qui permet d’explorer et de mieux comprendre les souffrances individuelles et collectives qui seraient issues du conflit entre le moi psychologique et le moi corporel, le plus souvent réduit au silence.

Le rapport entre corps et esprit intrigue depuis des siècles. On a bien souvent opposé les deux, même placé l’esprit au-dessus du corps. Vous offrez une vision nouvelle en redonnant au corps toute son importance en lui donnant, au même titre qu’à l’esprit, un cerveau, le cerveau intestinal. Les deux cerveaux seraient en constant dialogue. Mais alors pour vous, quel est le rapport de force ? 

Justement, il faut sortir du rapport de force. Le corps, à travers les sensations du vécu (souvent du nouveau né ou du bébé), à travers les interactions avec les parents et le milieu dans lequel on est, est sensible. Le cerveau entérique, le ventre, est un cerveau qui capte l’environnement en termes de sérotonine, c’est-à-dire de détente, de plaisir, de partage, d’intimité… Et si ces sensations là deviennent trop négatives, le premier réflexe que l’on a c’est de se dissocier, de se couper du cerveau du corps. Mais c’est quand on diminue la dissociation et qu’il y a une meilleure fluidité, un meilleur rapport entre ces deux cerveaux que les choses se complètent. C’est comme les yeux, ça donne une profondeur de champ. On ne peut pas dire que l’œil droit ou l’œil gauche est plus fort que l’autre. Il faut pacifier ce rapport pour arriver à écouter le corps sans en avoir peur et lui donner une place en nous. Ça permet d’avoir un appui intérieur plus fort et de moins dépendre de l’environnement, du regard de l’autre.

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Quelle implication la conscience du corps a-t-elle dans l’origine des troubles psychologiques ? 

J’ai récemment eu une patiente qui a dû vider l’appartement de son père car ce dernier partait en ehpad. C’est une famille très conflictuelle et c’était vraiment très très dur pour elle. Et une nuit elle a fait un rêve où elle était dans un espace temps vraiment à part, toute seule, en position foetale. Si l’on utilise la trame de la conscience corporelle, on se dit que le fait d’avoir dû toucher ces affaires, notamment celle de sa mère décédée, ça l’a renvoyée à tout son rapport avec cette dernière. Elle a fait un mouvement de bascule dans un espace-temps de nouveau né, même de naissance, où elle n’était pas désirée. C’est une réalité qu’elle touche et qui modèle toute sa vie. C’est imprégné dans sa conscience corporelle et ça va influencer sa psychologie, car elle porte cette souffrance de l’absence, de l’abandon. Et pour compenser, aujourd’hui elle a toujours besoin de beaucoup d’objets autour d’elle, c’est sa façon de combler ce manque.

L’un des concepts-clés pour comprendre votre approche, c’est celui des poupées russes. De quoi s’agit-il ? 

La poupée russe, c’est vraiment un espace-temps suspendu, bloqué par le traumatisme. Le traumatisme c’est vraiment le moi qui reste bloqué sur la perception qu’il va mourir, et il tourne en rond là-dedans. C’est pour ça qu’il y a dans ce genre de cas des débriefings pour essayer de faire sortir ces gens-là de cette boucle qui est en train de  se construire. À l’intérieur de nous, on a plein de poupées russes, qui peuvent aussi correspondre à des stades de développement du moi psychologique, et au sein de ces poupées russes il peut y avoir des espaces qui se retrouvent bloqués. Ils restent à tourner en rond, en dehors de la conscience car c’est justement dissocié, et l’on se retrouve à vivre avec des charges psychologiques plus ou moins importantes.

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Il y a dans votre livre une poupée russe qui revient sans cesse, qui semble être au centre de tout, c’est celle de la naissance. Pourquoi ?

L’expérience de la naissance, des premières semaines de vie, c’est la rencontre totale et immédiate avec l’environnement, avec qui l’on est, avec les parents, avec la lignée transgénérationnelle. C’est vraiment le noyau fondamental, la première poupée russe, et contrairement à toutes les autres qui sont creuses, celle-ci est toujours pleine. Elle contient une sorte de force gravitationnelle, c’est elle qui a le poids. Les autres poupées russes sont vides et elles l’intègrent à l’intérieur d’elles-mêmes.

Est-ce que cette première poupée russe est toujours problématique ?

Oui. Parce que l’expérience de l’incarnation, c’est quelque chose d’extrêmement compliqué. L’exercice de la naissance en lui-même est extrêmement intense, les os du crâne se déplacent, c’est une expérience à la limite de la mort. Et puis dans la foulée vient la séparation du ventre de la mère, la solitude. Ce moment traumatique peut être dépassé s’il y a l’amour, s’il y a le contact, s’il y a le toucher. Et la façon ultra-médicalisée de faire naître aujourd’hui nos enfants à malheureusement une influence.

Il y a quelque chose qui revient souvent dans votre livre et qui semble à l’origine de tous les maux, c’est “l’agressivité des parents”. Est-ce que les parents sont des monstres qui nous condamnent à porter leurs fardeaux ?

Vous pouvez être un parent qui est dans sa tête très aimant, très dans le désir et l’attente de son enfant, sans vous rendre compte que votre corporalité est chargée de plein d’obstacles, de traumatismes, de poupées russes qui n’ont pas été travaillées et refermées. Ce n’est pas du tout volontaire, les parents ne sont pas des monstres, ils n’en sont pas conscients. Ils ont coupé le contact avec leur corps pour éviter leurs poupées russes mais dans le même temps ils se coupent du corps de leurs enfants et font naître chez eux un manque.

Avec ses deux tomes, Le Corps à Cœur et La Voie du Corps, le Dr Olivier Vuagniaux offre un manifeste qui redonne la parole aux sensations du corps. Grâce à la reconstitution de dialogues avec ses patients et l’analyse de contes et de rêves, le psychanalyste nous montre qu’il y a “quelque chose de sympa à l’intérieur de nous”, reste maintenant à tendre l’oreille et à écouter son corps.